mercredi 6 juillet 2022

"Qui n'a pas vu l'âne d'Égypte ne connaît pas l'âne" (Lucien Augé de Lassus)

photo de Yehia Ahmed, avec son aimable autorisation

"Alexandrie, comme le Caire, a ses ânes qui partout attendent le promeneur. Qui n'a pas vu l'âne d'Égypte ne connaît pas l'âne. L'âne d'Égypte est une petite bête mignonne, éveillée, docile ; il est à ces malheureux et tristes roussins de nos pays ce qu'un généreux coursier de bataille est à la famélique Rossinante de nos fiacres. L'âne ne vit bien que dans un pays un peu chaud : le climat de l'Égypte lui est particulièrement favorable.
Chez nous il dépérit ; plus au nord, il ne peut vivre qu'avec des soins tout particuliers, il est aussi difficile de conserver un âne à Moscou qu'une girafe à Paris. Ayons donc quelque indulgence pour la disgracieuse apparence de nos baudets et leur caractère difficile ; ils sont dépaysés, ils souffrent, c'est leur excuse. 
L'âne d'Égypte, à la bonne heure ! il a la jambe fine et solide, le poil gris clair, la tête bien construite et d'un joli dessin, l'œil vif ; ses longues oreilles se dressent fièrement et mobiles dès que vous parlez, elles s'agitent comme d'un frémissement intelligent. La charmante bête ! Comme elle trotte ! Elle vous portera, elle vous conduira mieux que bien des ciceroni, et toujours sûrement, mollement, rapidement. Indiquez-lui la direction que vous voulez prendre, elle devinera aussitôt si vous voulez voir la colonne de Pompée ou les obélisques de Cléopâtre. La foule est compacte, partout fourmillante, n'ayez nulle peur, vous ne heurterez ni rien, ni personne, vous passerez partout, puis un braiement joyeux vous annoncera que vous êtes arrivé.
Le harnachement est pittoresque et digne de la bête qui le porte : la selle est rouge, parfois relevée de broderies bleuâtres, et rouges aussi les rênes. Enfin l'ânier, pieds nus, jambes nues, toujours courant, criant, frappant, complète à merveille l'âne.
L'âne est la monture vraiment nationale de l'Égypte, et cela sans doute depuis la plus haute antiquité ; nous verrons, par le témoignage des monuments pharaoniques, que l'âne fut connu et employé bien antérieurement au cheval. Aujourd'hui encore, en dehors d'Alexandrie et du Caire, où l'élément européen est très nombreux, le cheval est fort rare. Certains ânes d’Arabie coûtent jusqu'à mille francs, et souvent les personnages les plus riches n'ont pas d'autre monture."

extrait de Voyage aux sept merveilles du monde, 1878, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), auteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns archéologue, passionné de voyages

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