La brise était devenue une véritable bourrasque chaude comme le souffle de l'incendie, mais d'une chaleur sèche. L'air avait soif et s'emparait en fuyant de tous les sucs répandus à la surface des corps. La poudre que le vent soulevait en rasant le sol ne nous arrivait point par tourbillons, mais elle formait un courant continu qui fatiguait horriblement nos yeux et nos poitrines. L'horizon, terne d'abord, avait fini par s'effacer complètement, et cependant aucun nuage, aucune vapeur ne le dérobait à nos regards ; il semblait que nous marchions vers un chaos dont la limite, vaguement indiquée, était près de nous. Les premiers plans, seuls visibles à nos yeux, formaient une arène circulaire de peu d'étendue, qui semblait nager au sein de ce chaos. Plus de formes, plus de couleurs arrêtées ; partout la fusion des teintes et l'ondulation des lignes. Le disque du soleil ne nous apparaissait plus que comme une tache indécise derrière ce voile de sable et de feu qui avait tout envahi, et cependant, jamais le tyran ne nous fit sentir plus cruellement sa poignante suprématie ; il était là, comme le général d'armée dont le casque apparaît derrière la poudre des bataillons qu'il a lancés sur l'ennemi. Le sable, devenu mobile, rampait comme un serpent dont la progression rapide ne laisse dans l'air, au lieu d'une forme arrêtée, que l'apparence d'une vapeur fugitive, ou bien encore comme la flamme qui court à la surface de l'alcool embrasé ; puis s'élevant par une courbe insensible, il formait tout autour de nous ce milieu qui nous cachait le ciel et la terre.
Nous avions machinalement rapproché nos montures et nous marchions plus serrés, comme il arrive toujours dans un commun péril. Un seul mot prononcé brièvement circulait dans la caravane : El khamsinn ! disaient nos Arabes ; le kamsinn ! répétions-nous en nous regardant l'un l'autre.
Augustin, atteint déjà d'une toux opiniâtre, semblait à demi vaincu : "Pensez-vous que cela dure ?" nous disait-il. (...)
Cependant la fougue de l'air croissait à tout moment ; le thermomètre s'était rapidement élevé à quarante degrés ! Nos chameaux haletants faisaient entendre un cri plaintif, d'autant plus éloquent que c'était le gémissement d'une nature éprouvée par une longue pratique de l'adversité ; ils ne marchaient plus que par l'effet de cette résignation courageuse, qui est un des traits distinctifs de leur caractère et qui rend leur agonie semblable à leurs beaux jours. (...)
Mais le terme de la lutte était arrivé ; il ne fallait plus songer à chercher un abri ailleurs que sur la plaine rase où nous venions d'être assaillis. Les guides, par un mouvement unanime et spontané, saisirent les licols de nos montures, et tous ensemble, hommes et dromadaires, nous tombâmes la poitrine contre terre pour laisser passer l'ennemi. (...)
Les chameaux agenouillés formaient, à notre profit, une sorte de rempart pareil à ces digues naturelles que des roches bossues présentent quelquefois aux abords d'une rade ; l'expression plus que jamais diabolique de leurs figures les faisait aussi ressembler, lorsqu'ils dressaient la tête, à des démons rangés en bataille pour tenir tête à ces autres démons qui soufflaient sur nous du fond du désert, invisibles derrière le torrent de leurs haleines embrasées. (...) Le sable, après avoir frappé le rempart, n'était pas en totalité emporté par delà ; mais, repoussé par la violence du choc, il s'en allait former, à plus d'un mètre de distance en avant, une contrescarpe d'une hauteur presque égale à l'obstacle contre lequel il avait rebondi. Quant aux voyageurs, ils s'effaçaient de plus en plus, et les saillies de leurs profils conservaient seules quelques traces de la forme et de la couleur primitives."
extrait de Voyage au Mont Sinaï, 1844, par Louis de Tesson (1805-1889), ordonnateur du Bureau de bienfaisance d'Avranches, Manche ; membre de la Société archéologique d'Avranches
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