"Karnak est certainement le plus merveilleux amas de ruines que l'on puisse voir et que l'on ne puisse pas décrire.
Tout ce que le travail absolument humain, - car les échafaudages étaient à peu près inconnus et on n'élevait les énormes blocs de pierre qui ont servi à ces constructions qu'à force de montages de sable correspondant à la hauteur désirée et sur lesquelles on les roulait, - tout ce que le travail humain, dis- je, laisse supposer de possible, a certainement été tenté et réussi pour la construction de ce Karnak qui a vu les barbares de l'antiquité la plus reculée se ruer, pour les détruire, sur ces merveilles qui semblent renaître de leurs cendres plus splendides que jamais, puisque, après trois mille ans, nous pouvons encore rester éblouis par ce qu'il en reste.
Il est impossible, ai-je dit, de décrire Karnak. En effet, plus d'ensemble, plus de suite ; des pylônes, des sphinx, des colonnades, des obélisques, tout cela enrichi de dessins et de peintures, mais tout cela en ruines, tout cela rongé par le sel de nitre qu'y dépose le Nil, ou plutôt les infiltrations du Nil, car le dallage du temple est de 1 m 90 au-dessous du niveau général de la plaine environnante. Et quel temple ! Une de ses salles, la salle hypostyle, compte à elle seule 134 colonnes. Une autre, à ciel nu, renfermait quatre obélisques ; deux sont encore debout, dont celui qui porte le nom d'obélisque d'Ahtasou ; c'est le plus grand des obélisques connus : il mesure 33 m 20 de hauteur, et est admirable de taille et de pureté. Tout le monde sait que l'obélisque de la place de la Concorde n'a que 22 m 80 de hauteur.
Ce qui reste de Karnak n'est pas moins beau ; on sent qu'il a fallu des tremblements de terre pour bouleverser ainsi de pareilles masses de pierres ; c'est donc avec peine qu'on voit un esprit élevé comme celui de Mariette-Bey admettre tranquillement la destruction de ce qui reste sous prétexte que les infiltrations du Nil rongeant tous les ans, par exemple, les 134 colonnes de la salle hypostyle, elles doivent tomber. Mais c'est par trop musulman cela ! Restaurez, monsieur, que diable ! et conservez au monde une de ses plus belles merveilles."
extrait de L'Égypte... cinq minutes d'arrêt !, 1870, par Lambert de la Croix.
L'auteur, membre de la société de Géographie, a parcouru l'Égypte à l'invitation du vice-roi pour l'inauguration officielle du canal de Suez, et a envoyé la relation de ce voyage au Moniteur universel, dont il fut le secrétaire général.
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