Dans son ensemble, la nécropole de Thèbes couvre une superficie de quatre kilomètres de longueur environ sur deux kilomètres dans sa plus grande largeur. Quelle énorme population ! quel entassement de générations il a fallu pour peupler ce dortoir éternel !
Il est, sur la rive gauche du Nil, un rempart de montagnes dont Thèbes s'environne, cherchant, dirait-on, derrière cette enceinte, un refuge contre les envahissements du désert ; c'est vers ce rempart qu'il faut se diriger. Là, aux défilés de Bab-el-Molouk, se dérobent les sépultures des rois.
La piété jalouse des sujets exilait, loin des tombes vulgaires, les tombes royales. Il y a ici comme une sévère étiquette jusque dans la mort : le maître qui n'est plus reste le maître ; il ne saurait souffrir le voisinage de quelqu'un de ces pauvres humains que foulaient ses sandales.
Bab-el-Molouk est comme le Saint-Denis des Pharaons de la dix-neuvième et de la vingtième dynasties. Ces dynasties présidèrent aux destinées de l'Égypte, du quinzième au douzième siècle avant notre ère.
La chaîne libyque apparaît comme une barrière, qu'on ne saurait franchir sans une escalade aventureuse. Une brèche cependant se découvre, puis une vallée étroite. Cette vallée incline, serpente ; à peine y sommes-nous entrés, qu'elle se referme derrière nous.
On ne voit aucune issue. Est-ce un piège perfide où nous aurait pris quelque divinité jalouse de punir notre curiosité impie ? Quelle enceinte désolée ! Les montagnes se dressent formidables, affreusement arides. Tantôt ce sont des falaises taillées à pic, tantôt des entassements confus. Des blocs se sont écroulés des cimes les plus hautes et encombrent le sentier, d'autres se découpent sur le ciel en créneaux dentelés, puis s'arc-boutent, surplombent et menacent nos têtes d'un effroyable écrasement. Les rocailles font de larges traînées, comme si les eaux d'un torrent tari depuis des siècles les avaient charriées. Pas un brin d'herbe qui germe en quelque petit coin, pas un lichen qui s'accroche à quelque rocher, pas un insecte qui bourdonne, pas un reptile qui se glisse sur le sable. Il semble que la nature ait oublié de peupler ces solitudes. Le soleil flamboie d'aplomb ; ses rayons furieux nous enveloppent, et la terre et les rochers se renvoient des reflets embrasés. Tout est blanc ou jaunâtre et d'un éclat qui fait pleurer les yeux. Nous sommes enfermés en d'étroites limites ; nous avançons, il est vrai, mais notre prison marche avec nous. Plus d'horizon lointain où se perde librement le regard, et avec l'horizon a disparu toute pensée de joie et de vie. Quelle avenue grandiose cependant, majestueuse, sublime comme ne le fut jamais avenue que l'homme flanqua de sphinx et borda de colosses ! Nous allons au mystère, à l'inconnu, et l'âme est émue de ce calme implacable.
Quel étrange et magnifique spectacle ce dut être que celui des funérailles royales, pompeusement promenées dans l'horreur de ces gorges funèbres ! Quelles voix mystérieuses s'éveillaient aux flancs des rochers ! Quels échos répondaient aux hymnes sacrés ! Puis le grand silence retombait. Il ne ne sera plus de bruits glorieux qui le troublent jamais. Seule la mort encadre la mort.
La vallée change de direction, mais sans changer d'aspect ; toujours les mêmes rochers abrupts, les mêmes montagnes qui croulent en ruines, les mêmes sommets chauves. Nous cheminons ainsi durant plus de trois kilomètres. Puis des trous noirs apparaissent, faisant brutalement tache sur les falaises blanches et les rocailles jaunâtres : ce sont les lombes royales."
extrait de Les tombeaux, par Lucien Augé de Lassus (1841-1914), auteur dramatique, poète, librettiste de Camille de Saint-Saëns, archéologue, passionné de voyages.
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