mercredi 29 juin 2022

"L'histoire de l'Égypte devrait être partout le livre de l'éducation de la jeunesse" (Gratien-Michel Ollivier-Beauregard - XIXe s.)

Scribes - relief en calcaire de la tombe d'Horemheb, Saqqarah

"Mieux qu'aucune autre histoire des peuples primitifs, l'histoire des Égyptiens peut satisfaire, élargir et intéresser l'esprit moderne.
L'histoire des Égyptiens, telle que nous l'ont révélée leurs livres de pierre, n'est empanachée d'aucune oiseuse subtilité ; et, par exemple, si, dès les premiers jours de leur avènement à la vie sociale, les Égyptiens se trouvent en face de cataclysmes qui menacent de les détruire, en gens de cœur qu'ils sont ils vont tout droit au fait et s'en tirent par le travail et l'industrie. Ils savent, d'ailleurs, si sainement employer leur temps, leur esprit et leurs forces, qu'ils font, des causes de leur désastre présent, les instruments de leur fortune prochaine.
Tout est ainsi, pour nous, enseignement dans la vie de l'Égypte, ses difficultés d'existence plus encore que sa bonne fortune.
Les murs de ses palais et de ses temples, couverts d'inscriptions contemporaines des faits qu'elles relatent, sont aujourd'hui des pages d'histoire ouvertes à tous venants, des pages d'histoire simplement mais franchement dite.
Par elles on apprend que l'Égypte a conquis le monde des temps primitifs et qu'elle l'a civilisé ; que le sol qui l'a nourrie et qui la nourrit encore, est sa plus glorieuse conquête sur le désert ; que sa fertilité, dont a profité le monde ancien avec elle, est l'immédiate conséquence de son travail intelligent et de sa persévérante patience ; que l'Égypte s'est ainsi faite elle-même et d'elle-même, à l'encontre des sables envahissants et des vents desséchants du désert qu'elle a su dominer sinon vaincre absolument ; que des inondations qui d'abord la menacèrent périodiquement de mort, elle a su faire des instruments de prospérité, lesquels, après des siècles d'influence salutaire et bénie, attestent encore aujourd'hui sa gloire impérissable et assurent le renouvellement perpétuel de sa fortune.
Cinquante siècles et plus avant notre ère, l'Égypte a su par les faits de son expérience journalière et continue, que la patience et le travail sont, par leur union, le capital le plus réel que puissent jamais posséder les individus et les peuples ; que ce capital est inviolable et assurément le moins périssable, puisqu'il est fait de la vie des familles et des peuples.
L'étude des choses de l'Égypte conduit tout droit à la science du monde. On y voit naître, grandir et s'éteindre des peuples. On y apprend les causes de leur grandeur et celles de leur décadence, le secret de la superbe des rois ou de leur honteuse abjection.
Dans ses huit ou dix mille ans d'existence antérieure, l'Égypte elle-même a connu toutes les caresses de la fortune, toutes les aigreurs de la défaite. Les difficultés à vaincre l'ont grandie, élevée jusqu'au sublime ; la fortune l'a rabaissée et fait disparaître. Elle s'était appauvrie par la prospérité.
L'histoire de l'Égypte est le grand livre de l'humanité, elle embrasse l'existence du plus grand peuple qui fut dans l'antiquité première : à ce titre, et par préférence, elle devrait être partout le livre de l'éducation de la jeunesse. Hommes du peuple, personnes du monde n'entendront jamais trop dire, n'apprendront jamais trop tôt que la patience et le travail sont les éléments les plus vrais et les plus puissants de la prospérité publique, sont les agents les plus nobles de la fortune individuelle ; et il est honnête, sain et bon que chacun sache que l'Égypte, la contrée la plus justement glorieuse de la haute antiquité, n'a dû son existence d'abord, sa grande fortune ensuite, qu'à son travail incessant et persévérant, qu'à son infatigable patience."

extrait de La caricature égyptienne, 1894,  par  Gratien-Michel Ollivier-Beauregard (1817-1901) égyptologue et orientaliste, président de la Société d'anthropologie de Paris, auteur dramatique

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