samedi 11 juin 2022

Les embarras du Caire, "après Constantinople, la plus grande et la plus belle ville de l'empire ottoman", par Jean-Baptiste Gal (XIXe s.)

Street Scene near the El Ghouri Mosque in Cairo
John Frederick Lewis (1805–1876)

"Les principales rues du Caire sont plus populeuses et plus encombrées que celles de Paris, mais la circulation y est bien différente et ne présente rien de régulier ; ici, la rue est obstruée par un groupe de musiciens autour desquels se pressent des badauds ; là, un marchand ambulant attire la foule en montrant les étoffes qu'il porte sur l'épaule ; un autre, les doigts chargés de bagues à vendre, les fait miroiter pour attirer les chalands ; souvent on est arrêté par des troupeaux de moutons et de chèvres ou par des chameaux chargés de bois de construction qui vous heurtent au passage.
La plupart des passants sont montés sur des ânes. Bien souvent, dans les rues du Caire, j'ai vu se reproduire la scène représentée par le célèbre tableau de la fuite en Égypte ; sur un âne une femme voilée, ayant un enfant dans ses bras, à côté, un homme à barbe blanche, en grande robe, tenant d'une main un long bâton et appuyant l'autre sur le col de l'animal pour le diriger et le presser. Il est un point, cependant, par où le tableau vivant dont je parle diffère du tableau que l'on connaît, c'est qu'en Orient les femmes ne s'asseyent pas sur leur monture, mais elles l'enfourchent comme font les hommes. Quand elles sont à pied, elles portent, d'ordinaire, leurs enfants à califourchon sur l'épaule gauche, et le marmot s'appuie des deux mains sur la tête de sa mère.
On voit au Caire un nombre extraordinaire d'ânes qui stationnent sur les places et aux coins des rues ; on dit qu'il y en a environ quarante mille. Chaque bête a sa selle, des étriers et un gamin qui l'accompagne. On enfourche le premier qui se trouve et l'on indique au garçon la direction qu'on veut prendre. Tous les deux se mettent en marche, d'un pas accéléré, au milieu d'un nuage de poussière suffocante. Les rues du Caire ne sont pas pavées, elles sont si encombrées d'allants, de venants, de chameaux chargés, qu'on est obligé de passer, à chaque instant, tantôt à droite, tantôt à gauche. Les ânes du Caire sont si petits que, si l'homme, qui les monte, a de longues jambes, il n'a qu'à les étendre, après avoir lâché les étriers, pour se trouver debout. Ces pauvres bêtes reçoivent plus de coups de bâton que de poignées de foin, aussi sont elles très maigres et la plupart ont des plaies sur le train de derrière. (...)
Les portes des maisons au Caire sont ce qui attire le plus l'attention : on les bariole de couleurs éclatantes et on inscrit au dessus quelques versets du Coran.
Il n'y a pas de fenêtres semblables aux nôtres, excepté dans les maisons construites et habitées par les Européens. Les ouvertures qui en tiennent lieu sont closes de cages de bois, découpées à jour et faisant saillie sur la rue. Grâce à ces treillis, les habitants de la maison voient ce qui se passe dans la rue sans être aperçus de dehors. L'usage de ces treillis existait déjà en Orient dans les anciens temps. Le cantique de Debora, dans: le Livre des Juges, représente la mère de Sisara attendant le retour de son fils qu'elle croit vainqueur, et cherchant à voir par les treillis si son char arrive. Salomon dit aussi dans le livre des Proverbes : "Comme je regardais à ma fenêtre par mes treillis, je vis un jeune homme qui passait dans la rue." (...)
Le Caire a 71 portes, qui sont la plupart dans la ville, parce qu'on a construit hors des remparts des édifices qui prolongent les rues. La ville forme un carré oblong. C'est, après Constantinople, la plus grande et la plus belle ville de l'empire ottoman.
Elle a été bâtie par Goyher, général des sultans fatimites, après avoir conquis l'Égypte au nom de son souverain El-Moëz. Elle est située à une petite distance à l'orient du Nil."

extrait de Voyage en Palestine, Phénicie et dans l'archipel, 1881, par Jean-Baptiste Gal (1809 ? - 1898 ?), docteur en droit, directeur du journal la Liberté, diplomate français, chef de section de 1re classe au département des Affaires étrangères

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