mercredi 14 octobre 2020

"L'Égypte a son caractère propre : c’est toujours, d’un bout à l’autre, l'opposition violente entre les terres d’une fécondité inépuisable et les grands espaces sans vie" (Auguste Le Dentu)

photo MC

"Le désert, on ne le perd jamais de vue, depuis le Caire jusqu’à Assouan, et au delà jusqu’à Ouadi-Halfa et Khartoum. Plaines étroites ou océans de sables, montagnes dépourvues de toute trace de végétation, il est là toujours présent, et c’est pourquoi l'Égypte a son caractère propre. C’est toujours, d’un bout à l’autre, l'opposition violente entre les terres d’une fécondité inépuisable et les grands espaces sans vie.
Les longues traînées de roches qui constituent les collines et les montagnes se ramassent de distance en distance en groupements pittoresques et envoient vers le fleuve de puissants contreforts. Leurs flancs creusés de profondes érosions attestent les ravages des eaux aux temps plus que préhistoriques où la vallée n’était qu’un immense lac. 
Les stratifications du calcaire blanc fortement accusées par l'effritement des parties les moins dures, dessinent par places des ruines gigantesques aux formes de tours et de forteresses. Les crêtes, perdant leur habituelle régularité, se coupent parfois de dentelures pittoresques ou se dressent en masses puissantes. Tantôt parallèles, tantôt presque perpendiculaires au fleuve, elles s'offrent sous des incidences très diverses aux jeux de la lumière diffuse ou aux embrasements solaires. Les sinuosités de la route, imposant aux regards d’incessants changements d'orientation, les montrent sous des aspects tellement mobiles que, pour qui aime à scruter le détail des choses, la monotonie ne peut naître de leur contemplation prolongée.
La rive libyque s’élargit à notre droite et la verdure semble s’étaler jusqu'aux collines lointaines à peine aperçues. De vastes champs de cannes à sucre alternent avec les céréales. De temps en temps les banales constructions d’une usine, les murs de briques, les cheminées hautes et massives souillant le ciel pur par des jets de noire fumée, nous causent un sursaut de révolte. Cette note moderne nous ramène du fond de si lointaines rêveries ! Il faut cependant bien l'accepter sans trop de résistance. D'ailleurs que sont les quelques hectares devenus le 
domaine de l'utilitarisme par rapport aux immenses étendues encore baignées dans l'atmosphère antique ?
Sur l’autre rive le désert et l'aridité ne se laissent pas oublier. Presque toujours la chaîne arabique nous accompagnera jusqu’à Assiout. À Magagah, limite de la haute et de la basse Égypte, nous contournons le Gébel Karara, grandiose promontoire surmonté d’une sorte de tiare de rochers. Les tons clairs du calcaire ont des délicatesses exquises, et les ombres portées mettent, avec les noirs des excavations, des notes fermes dans ces douceurs. Partout ce sont carrières, affouillements naturels,
entrées d’hypogées, et à leur pied de larges vagues de sable accumulées par les tempêtes de khamsin, et plus loin, au Gébel el Tyr, se reproduisent sous une forme toujours majestueuse les mêmes aspects, les mêmes effets de lumière."


extrait de Visions d'Égypte, 1911, par Auguste Le Dentu (1841-1926), chirurgien français, suppléant de la chaire de clinique chirurgicale à l'hôtel-Dieu, professeur de clinique chirurgicale à Necker, président du Comité de l'Association française de chirurgie.
Il fut "initié aux choses d'Égypte" par Maspero, "le savant illustre, l'infatigable chercheur", auquel il dédie cet ouvrage.

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