photo extraite de l'album L'Égypte et la Nubie, par Émile Béchard, 1887
"On reste confondu d'admiration devant le sûr instinct de ces artistes anonymes, devant leur sentiment profond de la beauté naturelle. En face de ruines parcellaires, - tel ce temple de Kom-Ombô qui dresse sur une falaise dominant le Nil ses murailles ébréchées, - on est saisi d'une sorte de stupeur. Leur beauté est "unique» et complète ; peut-être en est-il de plus séduisantes : celle-ci n'est comparable à rien. Alors, spontanément, on trouve l'émotion qu'on "tâchait" d'avoir au musée ou dans l'intérieur des temples. Bien mieux qu'une momie tordue et profanée, ces vestiges grandioses révèlent la grandeur d'une civilisation mystérieuse et magnifique...Quand on cherche à comprendre, c'est qu'on n'admire pas assez. Nous peinions, naguère, à démêler les contradictions et les puérilités du culte d'Amon-Ra. Maintenant la beauté nous domine. Du culte inexpliqué, il nous suffit d'imaginer seulement les rites pompeux. Les processions se déroulent, telles qu'elles sont figurées aux murailles des temples. (...)
À peine avons-nous besoin d'imaginer. II suffit de se souvenir, tant sont précis les bas-reliefs des temples, Et, quant aux "officiants", à leur allure et à leur physionomie, nous n'avons qu'à regarder autour de nous. Les voici, avec leur profil caractéristique, leurs yeux bridés, leurs lèvres égales et l'avancement de leur menton. Nous avons là, à portée de notre main et de notre courbache, les portraits vivants des prêtres et des rois d'il y a dix mille ans !
De là vient, on ne peut trop le répéter, le charme unique, le charme inimaginable de l'Égypte. À chaque pas, le Présent ressuscite le Passé. L'antiquité, une antiquité lointaine à donner le vertige, s'éveille, vit, s'agite, - et mendie ! - autour de nous. II y a quelque chose de violemment burlesque à voir le visage même d'Osiris se tendre suppliant vers le bakschich. Et l'on est moins égayé encore que troublé... La religion égyptienne tient si fortement à la nature, que la nature égyptienne, à son tour, nous incline à cette religion. La doctrine de la métempsychose est encore l'une des plus satisfaisantes que les pauvres hommes aient inventées. On comprend qu'elle soit née sur cette terre où les mêmes traits du visage se perpétuent à travers les siècles. On n'est jamais bien sûr que l'enveloppe mortelle d'un ânier ne contienne pas l'âme vagabonde de Manès, ou celle même d'Amon-Ra le grand dieu conducteur du soleil.
Et cette prolongation d'un type identique fait apparaître plus étroite encore, et plus intime, l'union qui existe entre l'Art égyptien et la nature. Ils se tiennent de partout, si l'on peut dire. Partout l'on découvre le lien qui rattache les hommes aux dieux, les temples à la terre. On le retrouve à Esneh, dans les colonnes enfouies jusqu'au faîte ; à Abydos et à Dendérah, à Edfou, qui domine avec tant de majesté "Le Vieux fleuve alangui routant des flots de plomb..." et dont le temple intact, portant à ses pylônes l'épervier héraldique, semble attendre les prêtres ressuscités d'Horus, dieu du soleil... On le retrouve à Karnak, prodigieux amoncellement de prodigieuses grandeurs ; à Louqsor, dont les pieds sont baignés par le Nil, et dont les sanctuaires rapprochés d'Aménophis Ill, d'Alexandre et de Constantin, dominés par une mosquée récente, mesurent le large espace des temps abolis. On le retrouve encore sur la rive gauche du fleuve, où l'aspect farouche de la Vallée des Rois ajoute tant de sombre beauté aux tombeaux séculaires. On le retrouve à Saqqarâh, au Sérapéum et au Mastaba de Tî. On le retrouve à Assouân, à Éléphantine, à Philæ... Chaque ville, chaque tombeau, chaque temple empruntent et ajoutent une grandeur nouvelle à la terre où ils s'élèvent, à la lumière ardente dont ils sont baignés."
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