"Ô sainte et vieille Égypte, empire radieux,
Impénétrable temple où se cachaient les dieux,
Ô terre d'Osiris, ô reine des contrées,
Heureux qui vit le jour dans tes plaines sacrées !
Bienheureux l'étranger ! - Vînt-il des bords aimés
Où l'Hymète frémit de souffles embaumés,
Où la belle Aphrodite en passant illumine
Des reflets de sa conque Andros ou Salamine ;
Eût-il surpris, caché dans l'ombre du vallon,
Le roseau pastoral aux lèvres d'Apollon !
Bienheureux ! - Eût-il vu la fille de Latone,
Sous le chêne touffu que le pampre festonne,
De son cothurne d'or détachant le lien,
Éveiller d'un baiser le blond Thessalien !
Eût-il d'un pied poudreux foulé sous d'autres nues
Du Gange et de l'Indus les rives inconnues,
Et, des dieux endormis troublant la morne paix,
Interrogé le brahme au fond des bois épais ;
Eût-il sur la montagne où s'incline le mage
Adoré de Mithra la rayonnante image...
Heureux qui, reprenant le bâton voyageur,
Vers ton large horizon tourne un regard songeur!
Qui, long-temps fatigué du vulgaire esclavage,
S'arrête pour un jour sur ton divin rivage,
Et voit passer de loin, tout couronnés d'épis,
La symbolique Isis avec le grave Apis !
Thèbes, perle du Nil, Thèbes législatrice,
Des antiques cités antique impératrice ;
Thèbes, livre sublime aux pages de granit,
Le regard te dévore et l'esprit te bénit !
Ô fille du soleil, reine des vastes sables,
À tes pieds affermis les races périssables
Roulent sans t'ébranler de leurs flots orageux...
Pour ton éternité les siècles sont des jeux !
Ô temple lumineux, ô vivant Cosmolabe,
Heureux qui de ce livre a lu quelque syllabe !
Bienheureux qui, couché parmi les verts roseaux,
Voit le fleuve sacré mener ses grandes eaux ;
Et, l'oreille tendue aux paroles des sages,
D'un regard plein d'amour contemplant leurs visages,
Sous les cieux élargis, avec sérénité,
Adore gravement la sainte vérité !
Quand vint l'heure où ma lèvre encore inassouvie
Dut boire en frémissant à la coupe de vie,
Temple d'Isis, autel de mon mythique hymen,
Tes voiles sont tombés au devant de ma main ;
Et dans les profondeurs de ton ombre sévère
Que le profane ignore et que l'esprit révère,
Pauvre aveugle inondé de vie et de clarté,
J'ai passé du néant à l'immortalité !
Égypte vénérable, ô féconde nourrice,
Ton lait coule à doux flots sans que rien le tarisse ;
Et pourtant, de ton sein aussitôt détachés,
Combien de tes enfants au tombeau sont couchés !
Combien n'ayant que l'ombre et le doute en partage
Ont été dépouillés du céleste héritage !
Ils ont vécu, sont morts, et sans cesse à leurs yeux
Le symbole impassible a dérobé les cieux !
Ah ! si l'humble étranger épris de ta sagesse,
Mérita mieux sa part d'une telle largesse ;
Si j'ai quitté pour toi mon pays enchanteur,
Mes amours et mes dieux et mon toit protecteur,
Ah ! laisse-moi pleurer plus d'une larme amère
Sur ces peuples enfants qu’a rejetés leur mère,
Et dont l'oeil n'a point lu, dans les pages du ciel,
La science et la vie et le monde éternel !"
"L'idée maîtresse de ce poème est inspirée du "Génie des Religions" de Quinet. Cet auteur a montré que la religion égyptienne était la première qui ait manifesté l'effort humain vers l'individualité: "En Égypte l'homme au lieu de se laisser absorber comme dans l'Inde, par son idole, a cherché souvent à rivaliser avec elle." (Ashnadelle Amin Hilmy)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.