samedi 26 octobre 2019

"Ces antiquités célèbres, qui attirent tant de voyageurs dans la Haute-Égypte" (par Edmond Combes)

photo de Félix Bonfils (1831-1885)
 "Le vent s'étant apaisé, notre cange, traînée par les matelots, put enfin s'éloigner de Minyeh. L'équipage était plein d'ardeur, et malgré le courant, nous avancions avec assez de rapidité. Cependant, la brise favorable ne tarda pas à s'élever ; aussitôt , les haleurs s'élancèrent dans le bateau, les voiles furent déployées, et après quelques heures de navigation, nous découvrîmes les premiers vestiges de ces antiquités célèbres, qui attirent tant de voyageurs dans la Haute-Égypte. Sur le flanc des montagnes qui bordaient toujours la rive droite du fleuve, nous aperçûmes plusieurs excavations en forme de niches ; j'aurais vivement désiré que M. Saint-André me permît de les visiter, mais je n'eus pas l'indiscrétion de réclamer cette faveur ; le vent continuait à souffler, et bientôt nous les perdîmes de vue. 
Je voulus interroger les gens de l'équipage au sujet de ces grottes, qui n'étaient sans doute autre chose que les tombeaux de Béni-Hassan, mais personne ne put me fournir le moindre éclaircissement, et je n'eus pas de peine à me convaincre qu'en fait d'antiquités les habitants du pays étaient les plus mauvais cicérones qu'on pût choisir. Comme j'avais la naïveté de reprocher à notre reïs son ignorance sur des matières si intéressantes : "Que voulez-vous ? me répondit-il, nous sommes incapables de tirer aucun parti de ces vieilles pierres, et j'avoue que je ne comprends pas trop l'attrait qu'elles ont pour vous. Un grand nombre de mes compatriotes sont persuadés qu'elles renferment des trésors et que vous possédez seuls le secret de les en retirer. Je me vois obligé de pencher pour cette opinion, car il m'est impossible d'expliquer différemment cet empressement à venir fouiller des ruines." 
Quels renseignements pouvais-je espérer d'un pareil homme ? Cependant, ce reïs, né à Luxor, passait sa vie sur le Nil, voguant avec indifférence entre les débris imposants qui jonchent les deux rives du fleuve, et, plus d'une fois, il avait porté sur sa barque d'illustres voyageurs passionnés pour ces vieilles pierres, objet de son dédain. 
De distance en distance, et toujours sur la même rive, nous découvrions de nouvelles excavations, qui paraissaient fraîchement déblayées ; on eût dit que le vent venait de les mettre à nu, en chassant les épaisses couches de poussière qui recouvrent ces montagnes blanchâtres brûlées par le soleil. 
À la vue de ces restes antiques à moitié ensevelis dans les sables ; en songeant à ces monuments historiques dont on n'a pas encore retrouvé les traces, on est naturellement amené à espérer que l'Égypte, lasse enfin des luttes qui l'épuisent, se décidera à entrer dans une voie meilleure et à employer ses forces à des conquêtes d'un nouveau genre ; le bien-être et la richesse matérielle ne seront pas les seuls résultats de ses efforts ; lorsque, couverte de travailleurs, elle voudra féconder jusqu'à ses déserts et aplanir ses montagnes arides, une foule de débris précieux, engloutis dans les sables, reverront la lumière, et viendront jeter un nouveau jour sur l'histoire de son peuple."

extrait de Voyage en Égypte et en Nubie, 1846, par (Jean Alexandre) Edmond Combes (1812-1848), explorateur français.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.