vendredi 4 octobre 2019

"Tout a sa signification dans les monuments allégoriques de la vieille Égypte" (comte d'Estournel)


photo de Félix Bonfils, 1885
"J'avais devant moi la seule des sept merveilles de l'ancien monde qu'il ait été donné aux hommes de nos jours de contempler, car les six autres ont disparu, et la place même des trois que je suis allé chercher à Rhodes, à Halicarnasse et à Éphèse est ignorée.
(...) Je ne m'étendrai point sur l'historique des pyramides. Ici tout est doute et mystère. Ce qu'Hérodote et, après lui, Diodore regardent comme le plus probable, c'est que, environ mille ans avant notre ère, le roi Chéops ou Chemnis, puis son frère, puis son fils, élevèrent ces monuments immenses. Manéthon les attribue aux rois de la quatrième dynastie, cinquante et un siècles avant Jésus-Christ. Depuis, chaque savant a eu son système ; les uns voient dans la grande pyramide la sépulture d'Osiris ; les autres un observatoire astronomique. Enfin, ce que remarque Diodore que, de son temps, ni les historiens, ni les Égyptiens eux-mêmes n'étaient d'accord sur leur origine et leur but, est également vrai aujourd'hui, et dix-huit siècles de plus n'ont rien éclairci. Je ne répèterai donc point ce que tout le monde a lu, pas même l'anecdote scandaleuse de la fille de Chéops. Je m'assis sur les débris de la chaussée, en gros blocs, qui jadis servait d'avenue à la nécropole, et je contemplai en silence ce prodigieux spectacle. Je croyais toucher à la grande pyramide quand j'en étais encore à un quart d'heure de marche.
À ma droite, le sphinx à demi ensablé, déployant sa longue croupe, élevait de trente pieds sa tête mutilée avec une grâce et une majesté dont les efforts du temps et du vandalisme n'ont pu effacer le sentiment. Le rocher calcaire dans lequel il a été taillé est le même qui sert de fondation et probablement de noyau aux pyramides. La pierre, tout usée qu'elle est, laisse encore deviner les contours que la main de l'artiste lui avait imprimés, et la couche de couleur imitant le porphyre dont elle était revêtue. Quelques doctes ont cru que ce sphinx était l'œuvre et peut-être le portrait d'un Touthmosis, pharaon de la dix-huitième dynastie, le même dont Joseph fut ministre. Quoi qu'il en soit, ce colosse symbolique, énigme personnifiée, sentinelle avancée des tombeaux, semble placé là pour exprimer le mystère dont le trépas enveloppe ses secrets et le doute qui s'élève dans l'âme du mourant à l'approche de son heure suprême ; car tout a sa signification dans les monuments allégoriques de la vieille Égypte."


(extrait du Journal d'un voyage en Orient, publié en 1844, de François de Sales, Marie, Joseph, comte d'Estourmel (1783 - 1852), homme politique français)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.