samedi 12 octobre 2019

Les chadoufs sont "connus sans doute en Égypte de toute antiquité" (Maxime Du Damp)





Le chadouf, par Louis-Hippolyte Mouchot (1846-1893)
"Partout où se sont amoncelées les maisons d'un village, se balancent des palmiers ; autour d'eux verdoient des cotonniers, des indigotiers, du henné, du maïs, des bamiehs, des colocazias, des cannes à sucre, du blé, de l'orge, du tabac, des fèves, du trèfle ; près des habitations, presque toujours construites aux bords d'un petit étang oublié par l'inondation, s'épanouissent des bouquets de ricins sauvages et de cassis à fleurs jaunes, des gommiers, des tamarix, des mimosas, de rares nopals, des sycomores et des grenadiers. 
Au milieu des champs s'élèvent çà et là des cônes en limon desséché, sortes de piédestaux rustiques, sur lesquels monte une femme armée d'une fronde. Vêtue d'une lourde robe de laine, debout sous le soleil qui la mord, elle lance des pierres et pousse des cris contre les bandes d'oiseaux voraces qui s'abattent sur les récoltes. 
Cependant les hommes travaillent aux chadoufs afin de pouvoir arroser les cultures toujours altérées sous ce ciel ardent qui les brûle. Ces chadoufs sont très simples et connus sans doute en Égypte de toute antiquité, car on les retrouve tels qu'ils sont aujourd'hui dans les peintures des spéos de Beni-Haçan et d'El-Kab. Ils sont composés d'un levier suspendu vers le tiers de sa longueur sur une traverse horizontale que soutiennent deux montants verticaux enfoncés au sommet des berges du Nil. La branche la plus courte du levier est alourdie d'un contre-poids de terre durcie, et sa branche la plus longue porte une verge de bois rattachée par un lien flexible ; de sorte que pendant les mouvements d'inflexion du levier, cette verge reste toujours verticale. À son extrémité inférieure pend un seau de cuir que le moindre effort fait plonger dans l'eau et dont on déverse le contenu, soit dans un canal circulant à travers les terres, soit dans une cavité où un autre chadouf vient le prendre ; j'ai vu quelquefois, lorsque les rivages sont hauts, jusqu'à cinq étages de ces primitives machines que manient des hommes nus et haletants. Dans certains districts, les fellahs y travaillent jour et nuit, et souvent sur ma barque, lorsque je ne dormais pas, j'entendais dans le silence et l'obscurité, monter lentement vers le ciel le chant plaintif de ces malheureux que nul repos ne délasse."
 
extrait de Le Nil : Égypte et Nubie, par Maxime Du Camp (1822-1894), écrivain, photographe, membre de l’Académie française

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