vendredi 25 octobre 2019

Une "impression de magnificence dans la force et dans la sobriété" (Édouard Schuré, à propos de la mosquée Sultan Hassan - le Caire)

Héliogravure par Lehnert & Landrock, vers 1910
"Il est une mosquée qui résume en quelque sorte l'esprit de toutes les autres et condense en une image architecturale tout le génie de l'Islam :c'est la mosquée de Sultan Hassan. Quand on aperçoit de loin son massif sombre et carré qui domine la ville à l'extrémité du boulevard Méhémet-Ali, on dirait un château féodal, quelque monstrueuse prison du moyen âge. Mais bientôt sa frise fouillée en petites niches, son dôme en pointe et ses deux minarets annoncent la demeure consacrée à Allah. Le minaret de droite, le plus haut du Caire, est une énorme tour octogone, à trois balcons, de structure sobre et puissante. Couronné d'une petite coupole comme d'un turban, il ressemble à un gigantesque muezzin qui veille jour et nuit sur la maison de prière et sur la ville. 
Tout dans cette mosquée est prodigieux et colossal. L'unique porte d'entrée s'élève à soixante pieds et atteint presque la frise de la muraille. On croirait que le porche, effrayé par l'approche du souverain, s'est haussé d'un seul coup en nef de cathédrale, se couvrant d'arabesques et laissant retomber en baldaquin les stalactites innombrables de sa voussure, pour laisser passer la majesté du sultan suivi de tout le peuple des croyants. 
Traversons le vestibule, où Hassan rendait la justice du haut de son divan, puis un long corridor. Nous voici dans la cour intérieure, au rendez-vous de la prière, au cœur de la mosquée. Rien de plus simple et de plus grand. Une vaste cour carrée à hautes murailles, à ciel ouvert. Sur chacun de ses côtés, une grande arche à double courbure ouvre sur une salle cintrée. Celle du sud-est, orientée vers la Mecque, a vingt et un mètres d'ouverture et forme le sanctuaire. Au fond, la niche à prières (mirhab) en marbre de diverses couleurs ; de côté, la chaire à prêcher (member) (sic : il faut lire "minbar"). Une inscription en caractères koufiques court sur la frise, au milieu d'arabesques légères. Un lustre en bronze ciselé, une foule de lanternes de verre coloré, qui ne s'allument qu'aux grandes fêtes, pendent de la voûte et planent comme des génies immobiles ou des âmes ardentes sur les fidèles prosternés. 
Mais il faut revenir dans la cour pour résumer l'ensemble de cette impression, qui est celle de la magnificence dans la force et dans la sobriété. Au centre s'élève la fontaine des ablutions, à huit colonnettes supportant une large coupole. Cette sphère, dont le bas est engagé dans la toiture et le couronnement octogonal de la fontaine, mesure huit mètres de diamètre. Elle est peinte en bleu et représente le monde ; un pignon la surmonte avec un croissant. Cette fontaine bizarre ajoute à la majesté de l'édifice. Elle élargit la cour et hallucine le regard. Ne dirait-on pas le globe terrestre descendu avec son satellite dans le temple d'Allah pour faire lui aussi sa prière ?"


extrait de Sanctuaires d'Orient Égypte, Grèce, Palestine, 1907, par Édouard Schuré (1841-1929), écrivain, philosophe et musicologue français

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