vendredi 28 septembre 2018

Aucun peuple "n'a été aussi avide de gloire avec un tel amour pour le mystère" (Charles Blanc, à propos de l'Égypte ancienne)

Karnak, photo de Pascal Sébah
 "Le seul nom de l'Égypte éveille beaucoup de pensées, et ce nom rappelle des souvenirs dont les uns sont éclatants, les autres mystérieux et obscurs. L'histoire de ce pays étrange a quelque similitude avec ses temples, dans lesquels on entre par une porte haute, flanquée de deux vastes pylônes que décorent brillamment des figures énigmatiques, mais qui d'ordinaire n'ont point d'ouverture sur le dehors et ne prennent le jour que de l'intérieur. Le seuil franchi, on se trouve d'abord dans une cour environnée de portiques, à ciel ouvert, et toute remplie de soleil, ensuite dans des propylées couverts qui sont assombris par l'étroitesse des entre-colonnements et l'épaisseur des colonnes. Puis on passe dans le temple proprement dit, dont la principale enceinte est entourée de chambres noires où étaient jadis renfermés les objets du culte, les habits des dieux, les offrandes, les sistres d'or ; enfin par des couloirs secrets on est conduit dans un de ces sanctuaires qui furent si longtemps impénétrables et où étaient cachées des choses inconnues comme les sources du Nil.
Mais de même que le temple fermé à la foule n'était accessible qu'aux Pharaons et aux prêtres, de même les manuscrits qui étaient sculptés sur les parois, les plafonds et les colonnes, ne devaient être intelligibles que pour un très petit nombre d'initiés. Or ce mélange d'obscurité et de lumière est d'autant plus remarquable que l'Égypte a été prodigue de son histoire. Aucun peuple n'a été plus jaloux de se raconter, ni plus désireux en apparence de n'être pas compris. Aucun n'a été aussi avide de gloire avec un tel amour pour le mystère.
Non contente d'employer l'écriture à faire connaître aux générations de l'avenir ses croyances, sa religion, ses rites, ses cérémonies, ses combats et ses victoires, et jusqu'à l'intimité de ses usages domestiques, l'Égypte se fit de l'art une seconde écriture, et, gravant ses annales dans le calcaire, le granit ou le porphyre, elle traduisit en images visibles et tangibles ce que rendait obscur cette lan
gue écrite dont le nom, durant tant de siècles, a été synonyme d'indéchiffrable. Chose inouïe, ce qui sert, dans tous les pays du monde, à manifester l'idée, servait ici à la voiler ou à l'obscurcir.
Cependant il devait venir un jour - ce jour est venu dans notre siècle - où un homme de génie percerait les ténèbres qui enveloppaient le passé de l'Égypte et, faisant parler ces figures si longtemps muettes, expliquerait aux Égyptiens eux-mêmes les pensées et les récits de leurs ancêtres."
 

extrait de Voyage de la Haute-Égypte : observations sur les arts égyptien et arabe, par Charles Blanc (1813-1882), historien, critique d'art et graveur français, membre de l'Académie des beaux-arts et membre de l'Académie française

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