mercredi 19 septembre 2018

"C'est en Égypte qu'il faudrait avoir le pinceau magique d'un peintre pour fixer les tons multiples qui se mêlent et se succèdent" (Camille Lagier)

tableau d' Eugène Fromentin (1820-1876)
"Le Nil est très sinueux en avant de Siout et les montagnes, de chaque côté, se découpent et se rapprochent. Là, nous assistâmes à un coucher de soleil que rien ne peut rendre. L'astre flamboyant descendait derrière la chaîne libyque, très rouge, éclatant, boule énorme de feu. Au-devant de la montagne, des vapeurs violettes glissaient sur le vert foncé de la plaine. Derrière nous, la chaîne arabique baignait dans une teinte rose, qui allait en montant du rose le plus vif au rose le plus clair. Et sur le fleuve, se croisaient des voiles, grandes ailes blanches lumineuses. Soudain le soleil s'abîma dans le désert, l'horizon devint or et safran, avec des tons ardents et veloutés qui se dégradèrent lentement, très lentement, pendant qu'au bord du ciel un léger nuage dépliait une pourpre tendre et que Vesper, se détachant de la voûte azurée, entrait joyeusement en scène, bientôt suivi de l'armée innombrable des étoiles.
C'est en Égypte qu'il faudrait avoir le pinceau magique d'un peintre pour fixer les tons multiples qui se mêlent et se succèdent, très accusés, merveilleusement fondus, sous un immense jeu de lumière. Depuis le moment où le soleil éclate tout à coup à la limite du ciel, précédé par une lueur rose, jusqu'à son coucher triomphal, quelle variété de nuances ! Les collines de l'est et de l'ouest, avec leurs flancs rocheux, sont tour à tour dorées, jaunâtres, rouges, pourpres même, puis violacées, gris pâle, presque transparentes, enfin nébuleuses. Les voyageurs le répètent à l'envi. Toutefois, en été, lorsque le ciel est une fournaise surchauffée, lorsque la lumière aveuglante “se déverse en cuillerées de plomb fondu”, il faut être un artiste, un Fromentin par exemple, pour ne pas soupirer après des régions plus tempérées, après les montagnes de Provence et des Alpes, au risque, si l'on part, d'avoir la nostalgie de la lumière. Je ne sais plus quel voyageur disait qu'à ses yeux éblouis de l'Orient les rochers d'Italie semblaient moisis. Pour admirer Siout, il faut s'en éloigner. La ville fait grand effet sous la molle clarté des étoiles. Ses minarets gris ressortent sur un fond noir de palmes."
 

extrait de L’Égypte monumentale et pittoresque, 1922, par Camille Lagier (1855-1936), ancien professeur au Caire

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