photo de Pascal Sébah |
Mais quel fut le motif qui fit élever les pyramides ? A-t-on voulu se procurer un méridien impérissable ? Une seule eût suffi ? Les a-t-on voulu ériger en l’honneur de l’astre bienfaisant qui éclaire le monde ? On ne les eût pas multipliées. A-t-on voulu seulement déposer dans chacune d’elles les dépouilles mortelles d’un roi ? Dans ce cas, est-ce de l’orgueil ou de la piété ? Est-ce la flatterie des grands ou la reconnaissance du peuple, qui fit employer presque sans interruption plus de cent mille ouvriers à creuser les entrailles de la terre, en extraire des pierres d’une énorme grosseur, les entasser les unes sur les autres, et former ces montagnes qui se sont conservées intactes jusqu’à présent ?
Ces monuments, qui attestent l’opulence des rois, sont-ils un témoignage de leur sagesse ? Furent-ils élevés, après leur mort, par une contribution volontaire ? Ou bien ces travaux furent-ils ordonnés de leur vivant ? Le peuple fut-il accablé d’impôts ? Chaque pierre fut-elle arrosée de larmes ? Aristote les regarde comme des monuments de tyrannie. Les rois ne furent portés à cette dépense, selon lui, que pour appauvrir leurs sujets, que pour les accabler sous le poids d’un travail pénible et continuel, capable d’énerver leurs facultés, et leur ôter tout moyen de se révolter.
Celui qui ne verrait dans les pyramides que la grandeur des rois qui en conçurent le projet, et du peuple qui vint à bout d’en couvrir le sol de l’Égypte, aurait, selon nous, une bien fausse idée de la véritable grandeur d’une nation. Nous lui demanderions si, lorsqu'elles furent bâties, il ne restait plus de canaux à creuser, de routes à réparer, de ports à former, de marais à dessécher ; si le peuple était parvenu au plus haut degré de prospérité ; car la vraie grandeur dans l'homme qui gouverne, c'est de faire des deniers publics l'emploi le plus utile à tous ; c'est d'avoir une marine en bon état, une armée sur un pied respectable ; c'est d'honorer l'agriculture, encourager les arts, favoriser les sciences : et la vraie grandeur dans un peuple, c'est d'être toujours prêt à faire les sacrifices que les besoins de la patrie exigent ; c'est d'avoir une opinion réfléchie, raisonnable, uniforme, qui régisse elle-même le roi, les magistrats ; qui les maintienne dans les bornes de leur devoir, qui écarte surtout de leur entour les adulateurs, qui sont le fléau le plus dangereux des États, qui sont toujours prêts à applaudir aux caprices, aux sottises, aux impertinences de l'homme puissant ; car sans eux, point de tyrannie ; sans eux, point d'actes arbitraires ; sans eux, point d'injustices. Que, par la force de l'opinion, un peuple entoure d'hommes sages le plus méchant roi de la terre, il deviendra bon ou sera obligé de le paraître."
Voyage dans l'empire othoman, l'Égypte et la Perse. Avec Atlas, 1801, par Guillaume Antoine Olivier (1756-1814), naturaliste et entomologiste, docteur en Médecine, membre de l'Institut national, de la Société d'Agriculture du département de la Seine, des Sociétés philomatique et d'Histoire naturelle de Paris ; associé correspondant de la Société d'émulation du Var, de la Société linnéenne de Londres, etc.
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