Deïr el-Bahari, en 1878 |
"J'ai conservé Deïr-el-Bahari, comme on dit vulgairement, pour la bonne bouche. C'est, en effet, un morceau de choix et qui, dans son genre, lui aussi, non moins que le Pavillon de Médinet-Abou, sort du type conventionnel de l'architecture égyptienne.(...)
Le temple imposant de Deïr-el-Bahari (cloître du Nord), quoique fort ravagé, fit une heureuse diversion aux sensations pénibles que je venais d'éprouver dans l'antre fétide des abjects voleurs de cadavres. Le monument commémoratif de la reine Hatasou se présente avec une noble grandeur, soit qu'on l'aborde comme je le fais en arrivant du Nil, soit qu'on l'aperçoive à ses pieds, lorsqu'on suit la crête des hauteurs voisines.
Ces ruines sont vraiment encore altières, avec leur cadre sévère de monts grisâtres luisants au soleil : l'édifice en beau calcaire blanc, adossé aux falaises à pic, taillé dans la roche vive, s'étale en amphithéâtre et domine la plaine de Thèbes de ses trois temples superposés, de ses quatre terrasses étagées comme les marches d'un escalier gigantesque, et qui font penser aux fameux jardins suspendus de Babylone.
Mariette, auquel revient l'honneur d'avoir dégagé le monument des sables qui l'avaient presque englouti, fait observer que "Deïr-el-Bahari a été construit sur un plan bizarre, qui ne rappelle, même de loin, aucun des autres temples de l'Égypte". C'est, en effet, cette succession de plates-formes et de portiques qui en fait ou plutôt en faisait l'originalité.
Autrefois on y arrivait par un dromos de sphinx, long de cinq à six cents mètres, et deux obélisques en décoraient l'entrée ; il ne reste aujourd'hui de ces aiguilles que deux blocs méconnaissables. À partir de là il fallait gravir la montagne au moyen d'une série de larges rampes pour atteindre les cours superposées. À chaque étage régnait, sur trois faces, une galerie couverte, portée par des colonnes polygonales, qui donnaient accès à des chambres creusées dans le roc. Malheureusement l'édifice a été affreusement dévasté. Sur la première terrasse cependant se dresse encore un beau pylône de granit rouge assez bien conservé ; sur la dernière s'élevaient jadis une magnifique arche de granit et une deuxième voûte de porphyre, l'une et l'autre bâties exactement dans l'axe du temple, mais dont il ne subsiste plus de vestiges. M. Bruce a reconstitué sur le papier le plan du mausolée tel qu'il devait exister au temps de sa grandeur intégrale. Cette restauration rétrospective peut être d'un certain intérêt pour les archéologues en chambre et je n'en discute pas le mérite ; mais, à mon avis, des travaux de ce genre, si estimables qu'ils soient, ne vaudront jamais les ruines mêmes qui, quoique mutilées et sabrées par les hommes, quoique rongées ou abattues par la nature, rayonnent d'une pittoresque désolation et resplendissent d'une mélancolique majesté."
extrait de En Dahabièh, du Caire aux cataractes : Le Caire, le Nil, Thèbes, la Nubie, l'Égypte ptolémaïque, 1894, par Joseph Joûbert (1853-1925?), voyageur, explorateur, conseiller de la Société des études coloniales et maritimes.
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