Les lutteurs de Beni Hassan |
Par contre, les statues plus petites, celles qui, loin de s'immobiliser, s'efforcent de nous faire sentir les passions qui les animent, celles qui nous sourient, celles qui nous regardent avec sympathie, celles qui nous reçoivent sans hauteur, nous paraissent, en vérité, des personnes d'aujourd'hui et de toujours. En quelques-unes d'entre elles, nous trouvons jusqu'à des physionomies connues. “Où avons-nous vu un visage semblable ?” nous disons-nous. Et sur les noms étranges gravés dans les socles de pierre, nous posons, avec une satisfaction puérile, d'autres noms très modernes. (...)
Mieux que dans le musée d'Athènes, où, hors des vitrines réservées aux figurines de terre, tout a un air de majesté olympienne, dans cette galerie du Caire, nous sentons la palpitation de la vie millénaire en ses intimités les plus plaisantes. Les grands artistes de l'Égypte antique n'eurent jamais une préférence exclusive pour les attitudes solennelles, quand il s'agissait de représenter ceux qui n'étaient pas des êtres divins. Leurs Vénus nues elles-mêmes, symbole d'idéale perfection, sont modelées avec une volupté toute familière. Leurs corps sont longs, fins et flexibles. Leurs courbes furent sûrement caressées avec plus d'amour que de respect par les mains habiles de leurs créateurs. Dans leurs postures, on ne note rien qui ne soit humain, très humain, on pourrait même dire très réaliste. Placées dans une exposition moderne, au milieu d’œuvres de grands artistes expressifs, nul ne saurait si elles ne sortent pas de l'atelier d'un Rodin, d'un Benlliure ou d'un Zonza Briano. En effet, ce qui, dans les hypogées, nous paraît, à cause des bois sculptés ou peints, le produit d'un style essentiellement conventionnel, est, en réalité, le plus naturaliste des arts. Il faut voir dans les scènes de lutte de Heni-Hassan, dans les paysans avec leurs gazelles de Khnumhatpu, dans les vols de pigeons et de canards du palais d'Aménôthès III, dans le combat de Sésostris d'Ibsamboul, dans les statues de bronze achetées par le Louvre à la vente Posno, dans les chats qui s'étirent et jouent, de la “favissa” de Bubaste, dans les innombrables statuettes de terre, enfin, trouvées dans les tombes de toutes les époques et qui représentent des scènes familières, il faut voir réellement l'intensité de vie qui anime les œuvres populaires de ce peuple.
Divisé en deux écoles, l'une hiératique, sacerdotale et pharaonique, l'autre plébéienne et réaliste, l'art égyptien offre, dans son ensemble, le plus surprenant des contrastes. Est-il possible, nous demandons-nous, que les hommes qui sculptaient ces rigides et grandioses figures de granit qui gardent les portes des temples, soient les mêmes qui s'adonnèrent à modeler les onduleuses filles nues, les groupes d'ouvriers actifs, les physionomies caricaturales, pleines d'expression et de vie, qui nous séduisent dans les vitrines du Caire ? En nombre d’œuvres trouvées dans les sépulcres, le réalisme minutieux des sculpteurs thébains apparaît plus scrupuleux que celui de nos artistes modernes."
extrait de Le sourire du Sphinx : sensations d'Égypte, 1918, par Enrique Gómez Carrillo (1873-1927), critique littéraire, chroniqueur, journaliste diplomatique.
Trad. de l'espagnol par Jacques Chaumié
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