mardi 18 septembre 2018

"Il n'appartenait qu'à l'Égypte de dresser des monuments pour la postérité" (Bossuet)


 
Statue de Ramsès II - Memphis - photo Dominik Knippel (Creative Commons)

"Les ouvrages des Égyptiens étaient faits pour tenir contre le temps. Leurs statues étaient des colosses ; leurs colonnes étaient immenses. L'Égypte visait au grand, et voulait frapper les yeux de loin, mais toujours en les contentant par la justesse des proportions. On a découvert dans le Sayd (vous savez bien que c'est le nom de la Thébaïde) des temples et des palais presque encore entiers, où ces colonnes et ces statues sont innombrables. On y admire surtout un palais dont les restes semblent n'avoir subsisté que pour effacer la gloire de tous les plus grands ouvrages. Quatre allées à perte de vue, et bornées de part et d'autre par des sphinx d'une matière aussi rare que leur grandeur est remarquable, servent d'avenues à quatre portiques dont la hauteur étonne les yeux. Quelle magnificence et quelle étendue ! Encore ceux qui nous ont décrit ce prodigieux édifice n'ont-ils pas eu le temps d'en faire le tour, et ne sont pas même assurés d'en avoir vu la moitié ; mais tout ce qu'ils y ont vu était surprenant. Une salle, qui apparemment faisait le milieu de ce superbe palais, était soutenue de six vingts colonnes de six brassées de grosseur, grandes à proportion, et entremêlées d'obélisques, que tant de siècles n'ont pu abattre. Les couleurs mêmes, c'est-à-dire ce qui éprouve le plus tôt le pouvoir du temps, se soutiennent encore parmi les ruines de cet admirable édifice, et y conservent leur vivacité : tant l'Égypte savait imprimer le caractère d'immortalité à tous ses ouvrages ! (...)
Il n'appartenait qu'à l'Égypte de dresser des monuments pour la postérité. Ses obélisques font encore aujourd'hui, autant par leur beauté que par leur hauteur, le principal ornement de Rome ; et la puissance romaine, désespérant d'égaler les Égyptiens, a cru faire assez pour sa grandeur d'emprunter les monuments de leurs rois.
L'Égypte n'avait point encore vu de grands édifices que la tour de Babel, quand elle imagina ses pyramides, qui, par leur figure autant que par leur grandeur, triomphent du temps et des barbares. Le bon goût des Égyptiens leur fit aimer dès lors la solidité et la régularité toute nue. N'est-ce point que la nature porte d'elle-même à cet air simple auquel on a tant de peine à revenir, quand le goût a été gâté par des nouveautés et des hardiesses bizarres ? Quoi qu'il en soit, les Égyptiens n'ont aimé qu'une hardiesse réglée : ils n'ont cherché le nouveau et le surprenant que dans la variété infinie de la nature ; et ils se vantaient d'être les seuls qui avaient fait, comme les dieux, des ouvrages immortels. Les inscriptions des pyramides n'étaient pas moins nobles que l'ouvrage : elles parlaient aux spectateurs. Une de ces pyramides, bâtie de briques, avertissait par son titre qu'on se gardât bien de la comparer aux autres, et quelle était autant au-dessus de toutes les pyramides que Jupiter était au-dessus de tous les dieux.
Mais quelque effort que fassent les hommes, leur néant paraît partout. Ces pyramides étaient des tombeaux ; encore les rois qui les ont bâties n'ont-ils pas eu le pouvoir d'y être inhumés, et ils n'ont pas joui de leur sépulcre."
 

extrait de Discours sur l'histoire universelle, de Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704), évêque de Meaux, prédicateur et écrivain français
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