Thèbes, illustration extraite de l'ouvrage de Roger de Scitivaux |
C'est là pourtant qu'une des plus grandes villes qui aient existé a étalé ses quais, ses rues, ses palais et ses temples, sa prospérité et sa puissance. Reine du monde il y a quatre mille ans, qu'est-elle devenue, la Thèbes aux cent portes, qui, par chacune d'elles, pouvait faire sortir une armée ? La solitude et le silence règnent où s'agitait sa population immense, où couraient ses chars et ses coursiers.
Que reste-t-il de la splendeur de Pharaon ? Autour de nous en vole la poussière.
J'étais resté longtemps absorbé dans ces sérieuses pensées. Sous mes pieds, cependant, restaient debout des œuvres admirables de ces hommes si petits et si grands. Les vastes ruines du Ramseïum racontaient tout un passé détruit. Plus loin, Médinet-Abou adossé aux rochers de la chaîne libyque. Et, solitaires au milieu de la plaine désolée, les gigantesques colosses de Memnon, tournant au soleil levant leur placide visage.
Enfin, se mirant dans une des sinuosités du fleuve, Louqsor qui étale sa superbe colonnade, reliée par le village et les arbres à la masse imposante des ruines de Karnac.
Nous quittons le temple de Gournah pour aller visiter le tombeau d'Osymandias. Ces ruines seraient admirables si le fanatisme de Cambyse ou peut-être quelque tremblement de terre (car il faut des forces plus qu'humaines pour détruire de semblables constructions) ne l'avait presque complètement saccagé. Les murs d'enceinte n'existent plus. Les somptueuses colonnades, les salles et les portiques s'ouvrent librement sous le ciel et sur la plaine.
En quittant le Ramseïon, nous allâmes chercher un petit temple qui repose mystérieusement dans une gorge, au pied de la montagne libyque, abrité derrière une haute enceinte qui le dérobe aux yeux. Ce temple était dédié à Isis. C'est un bijou de coquetterie, de fini et de gracieuses proportions. Bâti sur un plan à peu près semblable à celui de tous les temples égyptiens, ses sanctuaires intimes sont retirés derrière des portiques ou péristyles qu'entourent une galerie supportée par des colonnes. Les grands temples seulement avaient plusieurs portiques. Celui-ci n'a rien de grandiose, mais ses dimensions sont harmonieuses et élégantes ; ses chapiteaux représentent un bouquet de lotus. La forme même des colonnes rappelle celle de la plante sacrée, épanouissant son calice sur une haute tige. Ces colonnes sont chargées de dessins et de peintures d'une extrême finesse. Les plus délicates et les plus brillantes couleurs, d'une conservation parfaite, couvrent les pierres et réjouissent les yeux. Chaque détail est fini, précieux ; c'est l'écrin d'une déesse.
Je restai longtemps seul à dessiner dans ce petit temple, dont j'étais amoureux ; mes compagnons étaient allés courir au milieu des ruines éparses au pied de la montagne. Je les retrouvai à la porte d'un tombeau creusé dans les entrailles du rocher, et qui renfermait, dit-on, d'intéressants bas-reliefs avant que le vandalisme d'un Allemand, le savant Leptius, n'eût mutilé ces reliques par jalousie pour sa science, et pour que d'autres ne pussent puiser à la même source que lui.
Mes amis étaient aveuglés, haletants, enfumés, noirs de poussière. Ils avaient soutenu un combat contre les chauves-souris qui avaient fini par les expulser de la grande syringe (sépulture souterraine des prêtres).
Le jour tombait, nous reprîmes tranquillement le chemin du bateau, donnant rendez-vous pour le lendemain à tout notre monde à deux et à quatre pattes ; nous devions aller aux tombeaux des rois.”
extrait de Voyage en Orient, par Roger de Scitivaux (1830 - 1870), peintre de genre et de portraits.
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