photo de Zangaki |
Née avant l'ère d'Abraham, elle a vu poindre et s'éclipser les splendeurs de Tyr et de Carthage, elle rayonnait alors que Rome, l'Attique et Sparte n'avaient pas secoué leur nuit. Ses plus jeunes monuments ont précédé la guerre de Troie. Elle se vante d'avoir inauguré le genre humain et semé des colonies par toutes les zones. Sur ses plages elle a vu courir en char de triomphe Sésostris, Nabuchodonosor, Cambyse, Darius, Xercès, Ptolémée, Alexandre, César, Tamerlan, Saladin, Bonaparte. Elle a vu cheminer dans ses sables Homère, Archimède, Aristote, Orphée de Thrace, Minos de Crète, Danaüs de Lybie, Thalès de Milet, Mélampe de Pylos, Pythagore de Samos, Hérodote d'Halicarnasse, Diodore de Sicile, les Athéniens Musée, Dédale, Solon, Platon ; Lycurgue de Lacédémone, Démocrite l'Abdéritain, Eudoxe de Cnide, Oenopidès de Chio, Volney, Delille, Champollion, Taylor, Alexandre Dumas, Chateaubriand, Lamartine.
Riche de son heureuse situation entre l'Afrique et l'Asie, la mer Rouge et la Méditerranée ; riche d'un sol fertile parmi tous, riche d'un peuple industrieux et créateur, elle a été rêvée comme but des plus hautes ambitions, elle a été sondée comme point central par les plus vigoureux aspirants aux monarchies universelles. Jules et Pompée, Antoine et Octave la choisissent pour tribunal et prononcent du sort de l'humanité. Innocent III, Ximénès, Ferdinand le Catholique, Emmanuel, Henri VII, Louis XIV décident d'y porter leurs armes conquérantes. Alexandre y fonde, y décore de son grand nom la capitale du commerce. Aux navires venus d'Alexandrie le droit exclusif désormais de tenir déployée jusque dans les ports italiens la petite voile qui flotte sur l'extrémité du mât, et que les autres vaisseaux doivent baisser en approchant du promontoire de Caprée ! Quelle fête dans la Campanie, lorsque arrive la flotte chargée de papyrus et de lotus, de gommes résineuses, de baume réparateur, de miel épais et odoriférant, de sel ammoniac trouvé dans l'oasis d'Ammon, ou du nitre aidant à féconder les femmes, ou du sable fortifiant les athlètes, ou de cette verrerie aux couleurs irisées, de cette poterie en terre vernissée aux teintes argentines, ou de ce vin exquis de Maréa si cher à Cléopâtre, de ce fruit des vignes de Tœnia comparé au Falerne par le poète de Tibur ! Lorsque la Palestine a faim, douze tribus s'approvisionnent d'un seul coup par caravanes aux magasins de Mezraïm. Partis d'Elim, les Israélites murmurent dans le désert contre Moïse et Aaron : "Qui nous rassasiera maintenant ? Nous mangions en Égypte le poisson, les concombres, les melons, les poireaux. Nous étions assis près des marmites pleines de viandes, et le pain regorgeait." Hannibal sous son talon d'airain a-t-il couché le dernier épi du Latium, tout n'est pas encore perdu, la république envoie ses ambassadeurs au grenier. Le grenier de Rome, c'était l'Égypte. Ne l'est-elle pas aujourd'hui de Constantinople, de l'Arabie, de la Syrie, de toute l'Asie Mineure ? Et la pâture de l'esprit, l'a-t-elle assez prodiguée !
Nous lui devons l'usage de régler le temps par les révolutions du soleil, non plus par celles de la lune, et celui de compter les ans par trois cent soixante-cinq jours ; les premières spéculations de l'astronomie, les premiers problèmes de la géométrie, les premiers alphabets, les premières bibliothèques si heureusement intitulées : Trésor des remèdes pour l'âme.
L'Égypte fut l'institutrice de la Grèce, qui répéta sa leçon à l'Europe. La Crète et l'Inde se disputaient un lambeau des codes pharaoniques. C'est en Égypte que Salomon allait chercher une vierge digne de partager le trône d'Israël, et des cavales assez nobles de race pour s'allier aux coursiers de Juda. C'est à l'Égypte que, pour être sûr de vaincre, Xercès empruntait ses soldats montés sur des dromadaires. C'est à l'Égypte que l'Élide envoyait réviser le plan de ses jeux olympiques.
Nul projet sérieux ne s'accomplissait au sein des régions étrangères, que l'assentiment n'eût été obtenu de la sœur aînée. Elle devait être en état d'inspirer autrui, celle qui, faisant la sainte aumône de ses traditions au barde aveugle, écrivit sans le savoir des pages de l'Odyssée ! Ses annales à elle sont de pierre : que de labeur et de solennité dans cette éloquence ! Comptez les bras qui dressèrent ces archives primordiales, comptez les générations qui virent à fleur du sol se dérouler le frontispice du livre, et la dernière ligne se clore dans la nue ! Mesurez ces colosses à larges bases, à vastes surfaces ; et ces avenues interminables que gardent les sphinx séculaires, ces statues qu'on dirait des montagnes, ces curieux obélisques dont l'armure a lassé le fer de tant de barbares, et dont La masse indestructible a fatigué le temps. Ces hypogées sans fin où se pressent les momies, populations sans nombre ; et les altières pyramides Qui, cercueils immortels de ce peuple géant, Élèvent jusqu'aux cieux la pompe du néant !
Contemplez, et défendez-vous de la méditation. Admirez, et tentez de vous soustraire à un émoi vraiment religieux. "Il n'est pas de contrée, s'écriait le père de l'histoire, il n'en est point où la nature produisit plus de chefs-d'œuvre et l'art plus de prodiges. - Salut ! s'écriait Savary, salut aux plus respectables monuments qui soient échappés à la main de l'homme !"
La Grèce et Rome ont bâti des temples aux dieux, des palais aux rois, des amphithéâtres à la foule. Qui, avant tous, l'Égypte a-t-elle su honorer ? L'intelligence et la vertu ; ses ancêtres, ses morts. Qu'importe le luxe des maisons, hôtelleries de passage ? Ce qu'il faut songer à embellir, n'est-ce pas bien plus logiquement la demeure éternelle ?"
extrait de L'Égypte au XIXe siècle, 1847, par Édouard Gouin (17... - 18...?)
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