illustration extraite de l'ouvrage de Gaston Maspero |
La première obligation que sa famille contractait à son égard était de lui fournir un corps durable, et elle s’en acquittait en momifiant de son mieux la dépouille mortelle, puis en enfouissant la momie au fond d’un puits où l’on ne l’atteignait qu’au prix de longs travaux. Toutefois, le corps, quelque soin qu'on eût mis à le préparer, ne rappelait que de loin la forme du vivant. Il était, d'ailleurs, unique et facile à détruire : on pouvait le briser, le démembrer méthodiquement, en disperser ou en brûler les morceaux. Lui disparu, que serait devenu le double ? On prêta pour support à celui-ci des statues représentant la forme exacte de son individu. Ces effigies en bois, en calcaire, en pierre dure, en bronze, étaient plus solides que la momie, et rien n’empêchait qu'on les fabriquât en la quantité qu’on voulait. Un seul corps était une seule chance de durée pour le double ; vingt équivalaient à vingt chances. De là, ce nombre vraiment étonnant de statues qu’on rencontre quelquefois dans une seule tombe. La piété des parents multipliait les images, et, par suite, les supports, les corps impérissables du double, lui assurant, par cela seul, une presque immortalité.
Dans les temples comme dans les hypogées, les statues de particuliers étaient destinées à servir de soutien à l’âme. La consécration qu’elles recevaient les animait pour ainsi dire et en faisait les substituts du défunt : on leur servait les offrandes destinées à l’autre monde.
Chaque tombeau de riche possédait une véritable chapelle à laquelle était attaché un sacerdoce spécial, formé de kon-ka ou prêtres du double.
Les prêtres du double accomplissaient aux fêtes sacramentelles les rites nécessaires, ils veillaient à l'entretien de l'édifice, ils administraient ses revenus. Les statues des villes mêmes exigeaient des soins spéciaux. (...)
On comprend maintenant pourquoi les statues qui ne représentent pas des dieux sont toujours et uniquement des portraits aussi exact que l'artiste a pu les exécuter. Chacune d'elles était un corps de pierre ; non pas un corps idéal où l’on ne cherchait que la beauté des formes ou de l'expression, mais un corps réel à qui l'on devait se garder d'ajouter ou de retrancher quoi que ce fût. Si le corps de chair avait été laid, il fallait que le corps de pierre fût laid de la même manière, sans quoi le double n'y trouvait pas le support qui lui convenait. La statue d'où a été détachée la tête conservée au Louvre était, on ne saurait en douter, l'image fidèle de l'individu dont le nom avait été gravé sur elle : l'expression en est d’un réalisme un peu brutal, il faut en accuser le modèle qui ne s'était pas avisé d'être beau, non pas le sculpteur qui aurait commis une sorte d’impiété s'il avait altéré en quoi que ce fût la physionomie du modèle."
extrait de Essais sur l'art égyptien, 1912 ?, par Gaston Maspero (1846 - 1916)
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