Médinet Habou, par Hajor (Wikipédia) |
Ainsi, la sculpture relief n'apparaît jamais sur ces nus de l'architecture et ne saurait en modifier les lignes d'une extrême pureté. Ce n'est qu'assez tard qu'elle se montre sur les chapiteaux et sur les dés qui les surmontent.
La sculpture n'est donc traitée chez les Égyptiens que comme une façon de tapisserie couvrant tous les nus, aussi bien ceux des murs que ceux des piles et colonnes, et elle appelle à son aide la peinture pour faire ressortir les moindres détails des intailles. Le bas-relief égyptien n'existe pas, car on ne peut donner le nom de bas-reliefs à ces dessins intaillés et à peine modelés ; et cependant l'art de la statuaire avait atteint, en Égypte, un admirable développement dès les premières dynasties, mais il se liait intimement à l'architecture par la façon dont il était traité. Car si les intailles qui tapissent les parements des édifices représentent parfois des scènes très mouvementées, la statuaire proprement dite affecte invariablement des poses calmes et une certaine rigidité symétrique qui cependant n'exclut ni les délicatesses du modelé, ni la recherche de la nature. Ainsi contribue-t-elle à la composition architectonique. D'ailleurs - sauf lorsqu'il s'agit de représentations de divinités placées dans certains sanctuaires - la statuaire, toujours colossale, ne décore que les dehors des édifices, les cours, les portiques, les pylônes. Les intérieurs ne sont décorés que par cette manière de tapisserie intaillée ; et cela était parfaitement entendu, au point de vue de l'art.
(...) L'esthétique des Égyptiens était trop délicate pour admettre dans des intérieurs des images colossales dont il eût été impossible d'apprécier l'ensemble, et qui n'eussent pas été à l'échelle de la décoration. Celle-ci, dans ces intérieurs, outre qu'elle n'est qu'une tapisserie, n'est pas grande d'échelle et compose une sorte de réseau coloré ne détruisant en rien les formes architectoniques.
Pour se rendre compte de l'effet que voulaient évidemment obtenir les artistes égyptiens, il faut, par la pensée, restaurer ces intérieurs de leurs grands édifices, tels que ceux de Karnac par exemple. La lumière du jour n'arrivait dans ces intérieurs que par de rares ouvertures ou seulement par les baies des portes. Mais telle est l'intensité, l'éclat des rayons solaires dans cette contrée, que le moindre filet dérobé à ces rayons produit des reflets qui ont une puissance supérieure à la lumière diffuse des intérieurs, dans nos climats. Les décorations intaillées et colorées sur les parements prenaient ainsi un éclat dont il est difficile d'apprécier la valeur et la chaude tonalité, lorsqu'on n'a pas eu l'occasion de s'en rendre compte sur place. Et, certainement, ce mode de décoration était celui qui convenait le mieux, les conditions admises, c'est-à-dire le climat et la destination. Ces intérieurs, maintenus frais par l'épaisseur des murs et plafonds de pierre et par l'absence des rayons solaires directs, n'eussent pu recevoir une décoration encombrante et dont les saillies auraient produit quelques points lumineux et des ombres larges en perdant des surfaces considérables. Par suite du procédé admis, tout parement recevait suffisamment de lumière reflétée, pour laisser voir les formes générales et deviner les dessins délicats qui les couvraient.
Ajoutons que ces intailles peintes sont habituellement colorées chaudement sur des fonds blancs, et qu'ainsi elles pouvaient être vues jusque dans les parties les plus sombres.
Le système de décoration appliqué dans les intérieurs par les artistes égyptiens est donc bien compris et admirablement adapté aux conditions imposées par l'architecture. Il n'était pas moins favorable aux grands effets à l'extérieur, et c'est en cela qu'on ne saurait trop admirer l'instinct merveilleux de ce peuple dans les choses d'art. Il n'est pas d'architecture qui ait adopté une décoration plus propre à profiter de l'intensité de la lumière solaire.
(...) Telle est la franchise d'allure de cet art égyptien, telle est la parfaite concordance de sa structure avec la décoration qu'elle revêt, telle est sa complète appropriation aux conditions imposées par le climat, que tout autre art importé sur les bords du Nil y fait piètre figure. Les quelques monuments grecs et romains élevés dans cette contrée semblent des tentatives puériles, sont écrasés, paraissent n'être que des conceptions maladives."
extrait de De la décoration appliquée aux édifices, par Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc (1814-1879), architecte français
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