samedi 22 septembre 2018

"C'est en se cachant que cette terre nous provoque" (Louis Lacroix, à propos de l'Égypte)

 
Cliché de James D. Robertson (XIXe s.)
"Il ne manquerait rien à l'intérêt d'un voyage en Égypte, si, comme les Romains et les Grecs, les anciens Égyptiens nous avaient laissé une littérature. Mais ils ont négligé ce moyen de séduction, dont la Grèce et l'Italie ont fait un emploi si heureux, s'emparant de nous dès l'enfance par le charme de leurs écrits, et nous façonnant d'avance à l'admiration, à l'enthousiasme pour leurs beaux sites et pour leurs ruines vénérées. 
Dans les contrées classiques, rien ne nous est indifférent, parce que tout nous est connu, parce que tout a une histoire et un nom. À cet égard, de faibles ruines peuvent lutter avec avantage contre la puissante masse d'une pyramide. (...) 
Telle est la magie des souvenirs et c'est là le prestige qui manque à l’Égypte. Mieux que la Grèce et l'Italie, elle a conservé les vestiges de son ancienne splendeur, mais ses ruines sont muettes et le langage officiel des hiéroglyphes n'a rien d'intime et de vivant. Si l’Égypte nous laisse entrevoir ce que furent ses mœurs, ses arts et ses institutions, elle ne nous livre de son histoire que des noms propres et des catalogues de dynasties. Silencieuse et fermée comme la tombe, cette terre des sépulcres garde dans son sein mystérieux tous les secrets des générations qu'elle a englouties. 
Son emblème, c'est le sphinx gigantesque couché sur le sable du désert au pied de la grande pyramide, dont le sourire sarcastique semble insulter aux efforts des œdipes de la science moderne pour pénétrer les secrets dont il est le gardien. 
Mais (...) c'est dans ce silence et ce mystère qu'est le charme et l'attrait du voyage d’Égypte, et c'est en se cachant que cette terre nous provoque. Telle est la nature de l'esprit humain, qu'après avoir joui de ce qui s'est révélé à lui, il veut poursuivre ce qui se dérobe. La curiosité est son grand ressort, et toujours on le verra, une fois en possession du connu, s'élancer impétueusement vers l'inconnu dont la recherche ne le satisfera pas encore. Car nous sentons dans notre intelligence, comme au fond de notre cœur, ce besoin de l'infini, qu'aucun progrès de la science, qu'aucune satisfaction d'ici-bas ne pourront jamais assouvir.
Voilà les entraînements que je ressentais alors : j'avais vu l'Italie, j'étais en Grèce, et j'aspirais à voir l’Égypte, comme pour pénétrer plus avant dans les secrets des âges, et atteindre jusqu'aux racines de l'histoire et des civilisations."

extrait de Souvenirs d'un voyage en Égypte, 1857, par Louis Lacroix, professeur d'Histoire à la Faculté des Lettres de Nancy, membre de l'Académie de Stanislas

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