photo Marc Chartier |
Les Grecs appliquèrent donc toute leur étude à l'élégance ingénieuse des formes, à l'harmonie des proportions, à la grâce et à la légèreté de la perspective : ils n'aspiraient qu'au perfectionnement de l'art en lui-même. Instituée pour des fins autrement importantes, l'architecture égyptienne s'était choisi un style et des proportions analogues à sa tendance favorite : il n'y avait là ni frontons, ni dômes, ni arcades ; toutes les lignes étaient droites, toutes les surfaces planes, toutes les formes quadrangulaires : partout des angles, nulle part des convexités. Les dimensions extraordinaires adoptées par les Égyptiens avaient surtout un double résultat : plus l'échelle était grande et plus le monument devait être durable, plus il offrait d'espace aux bas-reliefs.
Dans l'architecture des Grecs, la décoration d'un édifice n'avait en vue que l'ornement ; dans celle des Égyptiens, l'ornement était subordonné à l'utilité. Chez les premiers, la sculpture devint un art séparé qui eut ses règles et sa théorie ; chez les seconds, cet art n'avait jamais été qu'un auxiliaire de l'architecture : ce qui fut un but pour les uns, n'avait été qu'un instrument pour les autres. Les Grecs, en un mot, ne voyaient dans leurs édifices que des édifices ; les constructions égyptiennes étaient en même temps les archives littéraires de la nation : c'était une immense bibliothèque monumentale dont les feuillets, épars sur les bords du Nil, devaient être éternellement exposés aux regards de la multitude.
Le mérite de l'architecture grecque était perdu pour la masse des citoyens ; il n'y avait que les artistes et les hommes de goût qui fussent appelés à le comprendre et à le sentir. Les impressions de l'architecture égyptienne n'étaient étrangères à aucune classe, à aucun âge, à aucun sexe. La grandeur d'un édifice agit également sur toutes les intelligences ; la correction et la grâce ne frappent que des yeux exercés ; leur charme échappe aux regards vulgaires. L'aspect d'un monument grec nous séduit, nous captive, nous attache ; il y a presque de l'amour dans notre admiration. Devant un temple égyptien, on se tait et l'on médite ; et dans cette admiration muette et profonde, il y a quelque chose qui ressemble à de l'effroi. L'architecture des Grecs est toute poétique ; celle des Égyptiens toute religieuse. L'une parle à notre esprit, à notre cœur, je dirai presque à nos sens ; l'autre, plus sévère, s'adresse à notre raison. Dans la première, nous reconnaissons le type du beau ; la seconde nous familiarise avec l'idée de l'infini ; elle nous entretient de l'éternité."
extrait de Discours historique sur l'Égypte, par Joseph Agoub (1795-1832), orientaliste et poète
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